Stars can't shine without darkness

 Le soleil se levait faiblement sur ces terres qu'elle connaissait à peine. Pepsi ouvrit un œil, puis l'autre, et décida qu'il était bien trop tôt pour se lever. Elle se lova sur le canapé sur lequel elle se trouvait, et essaya de retrouver le sommeil. Quelques minutes plus tard, la voix de Hugo résonna dans le petit chalet, et Lucie lui répondit, chantante. La petite chienne sommeillait, bercée par leur discussion matinale, mais quand la porte s'ouvrit brusquement, elle sut qu'il était trop tard pour se rendormir. Elle leva la tête, et aussitôt une main énergique lui caressa le crâne, et on lui fit un bisou sur la tête. Elle se sentait si bien, si aimée. Après l'avoir cajolée, le coach sportif ouvrit la porte qui donnait sur la terrasse, et bientôt une douce odeur de croissant embaumait leur domaine éphémère. Refusant de rester sans rien avoir, la femelle n'eut d'autre choix que de se lever. Quelques étirements et la voilà, tête posée sur la cuisse de sa maîtresse, attendait un bout de pain au chocolat. Qui ne tarda guère.

  Elle se hissa une nouvelle fois sur le canapé, en attendant qu'ils aient fini de se préparer. Et sentant que la balade ne tarderait pas, elle se faufila dans leur chambre, et résolument campée sur leur lit, elle les fixait, alors que Lucie se brossait. "Oh, darling, on va pas tarder, ma fille !" s'écria-t-elle en sentant le regard insistant de leur chienne. Qui se mit à pleurer d'impatience, et à tourner autour du sac, dans lequel se trouvait son harnais, et sa laisse. Qu'ils accélèrent ! Hugo grogna, alors qu'il attachait ses chaussures de sport. Pepsi lui passait entre les jambes, lui donnait des coups de langue sur le visage, qu'il s'empressait d'essuyer. La tenue de footing était de sortie ! C'était si fantastique ! Il l'attacha, et le jeune couple, précédé de leur intenable animal de compagnie, s'en alla vers la sortie du camping.

    La beige était très intriguée par cet amoncellement de tentes, et faisait bien sentir à qui voulait la voir qu'elle était ici comme chez elle, bien qu'elle n'y avait jamais posé un coussinet la veille. Sa queue battait l'air en rythme, et elle trottinait gaiement. Une forte odeur canine s'échappait d'un grand bâtiment, et elle espérait un jour pouvoir s'y rendre. Il devait y avoir tant de monde, qui serait émerveillé par sa beauté parfaite ! Heureuse, le chemin passa très vite, et la forêt fit bientôt son apparition, alors qu'ils avaient déjà commencé à courir. La brunette étant là, le rythme était moins intensif, mais ils allaient déjà à une certaine allure.

   Les bois leur offrant un peu de fraîcheur, ils se détournèrent pour y aller, et une fois hors de portée de la route, Pepsi fut détachée et se tapa un sprint. Tant d'odeurs, de lieux à explorer, d'horizons à découvrir ! Elle zigzaguait, à l'affût de chaque effluve, et ne releva sa truffe, qui était constamment par terre, que lorsqu'une silhouette arrivait au loin. Ils s'approchaient, et elle s'arrêta, frémissante. L'autre, qui venait à elle, n'était pas bien grand, et pas des plus beaux. Son pelage semblait tout rêche, et pourtant il émanait de ce terrier, puisque c'en était un, une certaine mignonnerie. Ses yeux brillaient, d'enthousiasme, vraisemblablement, à l'idée de rencontrer une reine aussi magnifique que la croisée.

  L'œil attentif, elle redressa sa nuque, et lui lança, d'une voix joyeuse mais un peu snob :
"Salut ! Je suis Pepsi. Qui es tu, toi qui as la chance de me rencontrer ?"

  L'autre lâcha un petit rire, qui agaça fortement Pepsi. Quand on avait un physique comme le sien, il était inutile de se prendre pour ce qu'on n'était pas ! Un homme, portant les odeurs du camping qu'elle avait pu inhaler le matin-même, pointa le bout de son nez, et commença à discuter avec ses maîtres, qui s'étaient carrément arrêtés. Elle craignait fortement qu'ils conversent trop longtemps, alors que la forêt lui tendait les bras ! Tant d'effluves à sentir, d'animaux à pourchasser, de mouchoirs sales à dénicher ! Et voilà qu'on lui gâchait son plaisir, à venir s'incruster alors que ses muscles lui ordonnaient de partir à l'aventure.
"Je suis Eika! J'attends mon maître!"

  Cet homme n'était donc pas son maître, nota-t-elle dans un coin de sa tête. La petite chienne haussa un sourcil, puis l'autre quand elle vit le terrier la contourner pour aller quémander des caresses. Hugo baissa les yeux sur l'individu et s'agenouilla pour la caresser. La croisée fut outrée par cette trahison, et se précipita à son tour vers le coach sportif, qui se retrouva assailli par des demandes de caresse. Lucie se décala, laissant son compagnon se débrouiller seul dans ce regroupement canin. Quand elle sentit la main rugueuse lui frotter vigoureusement la tête, elle ne put s'empêcher de soupirer de soulagement. Il la préférait donc à cette femelle difforme portant le nom d'Eika !

  Elle lança un regard dédaigneux à cette dernière et s'assit à côté du jeune homme, posant sa patte sur sa chaussure, symbolique de son appartenance envers elle. Bien loin serait le jour où dans leur cœur battrait de l'amour pour un autre animal que le chat gris qui devait bien s'ennuyer sans sa présence éclatante. Elle resterait le seul canidé de la maison, pour le meilleur et pour le pire. Si un jour ses maîtres regarderaient un autre chien avec ce regard brillant d'enthousiasme, elle fuguerait. D'une voix un peu sèche, elle répliqua :
"Mais il s'avère que cet homme n'est pas ton maître. C'est le mien. Bon, on peut pas avancer, là ?"

 Ne souhaitant pas être vue comme une diabolique reine, elle lui lança un sourire éclatant, ravie d'avoir mis les choses au clair. Satisfaite, elle se décala, puisque les bipèdes commencèrent à parler tous les trois, et se mit à leur aboyer dessus. Ils l'observèrent un instant, puis se désintéressèrent d'elle. Elle geignit quelques instants encore, et leur tourna autour deux ou trois fois. Puis fila dans les bois, et s'arrêta, haletante, espérant qu'ils aient compris son message. La brunette ria, puis la suivit. Ah, que Lucie était intelligente !

  Pepsi courut rejoindre l'autre, la queue frétillante, et trottina à ses côtés. Sur le ton de la confidence, elle chuchota :
"Je déteste attendre. Et où est ton maître, au fait ?"

L'autre se métamorphosa en une parole, et Pepsi fut très fière de son talent. Grâce à elle, l'autre était plus heureuse, et elle était satisfaite. Si elle rappelait de bons souvenirs aux autres, alors ils l'apprécieraient forcé-ment. Et déjà cette Eika la suivait comme si elle était la meilleure amie qu'elle n'ait jamais eu. Si elle n'était pas magnifique, avec son corps tout en formes géographiques, et son poil d'apparence rêche, elle pourrait être de bonne compagnie. Du moment qu'elle ne se moquait pas d'elle, et qu'elle n'approchait pas trop ses maîtres, il n'y aurait aucun problème. Tout se passerait pour le mieux, et elles pourraient bien s'entendre. Et au moins, avec son physique, elle ne lui ferait pas d'ombres !

La beige savait bien qu'elle n'était pas magnifique comme ces chiens de berger qui attiraient les regards ins-tantanément. Elle, on la regardait non pas grâce à sa musculature, ou à ses yeux profonds, mais parce qu'elle était mignonne, avec ses poils cachant ses yeux, sa langue pendante et sa queue fouettant l'air continuelle-ment. Tant qu'on la complimentait, et qu'on ne la rabaissait pas, elle laissait couler. Hugo et Lucie la regar-daient avec le même amour, qu'elle soit tondue ou non. Un peu moins quand elle se roulait dans la boue et que son odeur infectait toute leur petite demeure.
" Il est chez nous! enfin, il est parti avec les humains en blanc. Ils l'ont emmené parce qu'il n'allait pas bien, mais ils vont le ramener, ensuite! et puis il reviendra me chercher."

 Elle hocha la tête, compatissante, même si elle ne voyait strictement pas à quoi faisait référence les bipèdes tout d'immaculé vêtus. Dans tous les cas, elle était seule en ce moment, et l'homme qui discutait avec ses maîtres n'était pas le sien. Quelle triste existence ! Le jeune couple était son monde, l'univers dans lequel elle voulait être l'unique star, l'unique centre. Ils étaient presque sa raison de vivre, malgré tous les bains qu'ils lui faisaient endurer. L'épreuve de la bassine, après les footings ! Quelle horreur ! Plonger ses pattes poussiéreuses dans de l'eau translucide, dont elle ne voyait pas le fond.
" Il n'y aurait pas une rivière pas loin?!"

 La petite chienne leva elle aussi la tête, mais pas par excitation à l'idée de piquer une tête dans le cours d'eau. Son pouls s'accéléra subitement, et elle jeta un œil angoissé au terrier qui trépignait presque sur place. Pour être sûre de ne pas stresser pour rien, elle tendit l'oreille, et dût bien se rendre à l'évidence : le claquement de l'eau contre les galets, les remouds contre la rive, oui, elle avait bien affaire à une rivière. Non, elle ne voulait pas y aller ! C'était bien trop dangereux que d'aller là où ses coussinets ne touchaient pas le sol ! Mais malheureusement ses maîtres et l'autre s'en allaient en enfer. Pepsi ralentit, mais c'était inutile. Ils iraient tout de même. Elle aperçut sa pire phobie et ne put que voir que le lieu était sympathique.

 L'endroit était charmant. Niché en pleine forêt, la rivière serpentait entre les arbres, éclaboussant certains troncs de par la rapidité de son courant. Des gouttelettes brillaient sur la rive, et de grandes touffes d'herbe, ainsi que de petites fleurs parsemaient sa route, telle une escorte verdoyante. Le soleil, s'infiltrant entre les épais feuillages se reflétait dans l'eau d'un beau bleu. Le ruisseau, puisqu'il n'était pas compliqué de le traverser, donnait un beau rendu, mais il n'était pour elle pas question de toucher le liquide que d'une griffe.
"Je reste là, moi. Vas-y si tu veux, hein."

  Ses iris couleur noisette se dérobèrent sous le coup de la honte, et elle observa les feuilles mortes, sur le sol près duquel elle s'était assise. Elle avait peur, mais n'aimait pas qu'on le sache.

Et l'autre plongea. Les yeux écarquillés d'effroi, elle observa ladite Eika s'amuser dans cette eau qui lui paraissait glaciale et bien dangereuse. Il y avait un certain courant, pas des plus périlleux, certes, mais pour Pepsi, cela revenait à nager dans une rivière déchaînée. Et il était hors de question qu'elle pose une griffe dedans. Elle risquerait d'être emportée dans le chemin qu'empruntait le cours d'eau, et plus jamais on ne la retrouverait. Scénario qui lui glaçait le sang.

Des éclaboussures atterrirent non loin d'elle, et la beige comprit bien vite que c'était la terrier qui en était l'auteure. Elle semblait si heureuse de s'ébattre dans cet élément qui était sa plus grosse phobie ! Elle leva les yeux, se préparant à affronter le regard de l'autre, et à subir des probables moqueries par rapport à sa non-baignade. Un peu rassurée de n'y voir que de l'entrain et de la joie, elle soupira doucement.
" Viens, allez! on attrapera des poissons!"

A l'idée de toucher un des ces animaux puants, mais certes bons, la croisée secoua la tête. Elle n'avait absolument aucune idée de comment attraper une carpe. Par les crocs? Autant, les lapins, elle savait les pourchasser, bien que jamais elle n'en ai attrapé. Mais les poissons restaient pour elle un grand mystère non élucidé. Elle les aimait juste beurrés dans sa gamelle, ou bien sur le bord de la plage. Là-bas, ils étaient morts, et c'était idéal pour essayer de les manger. Mais Lucie ou Hugo débarquaient sinon, et la forçaient à se séparer de sa proie. Dommage, ils avaient un bon goût salé !

Eika s'enfonça dans l'eau, et, un peu inquiète pour elle, elle se leva, et s'avança un tout petit peu du bord, cherchant frénétiquement sa trace dans la flotte. Elle distingua une masse dans la profondeur, entre le dessus et les cailloux. Cette silhouette qui était la sienne remonta à la surface, pour laisser échapper quelques bulles, synonyme qu'elle était bien vivante ! Et c'était tout ce qui comptait, quoi qu'elle fasse dans cette rivière.

Sa maîtresse riait aux éclats, et Pepsi fut offensée. Ah, elle savait faire des choses bien meilleures. Mais forcément il fallait qu'on trouve un domaine où elle n'était pas la plus forte. Et c'était bien rare. Elle excellait presque partout !
"Tu sais faire ça? Tu veux que je te montre? Ou alors toi, tu pourrais m'apprendre un tour! "

Une fois de plus elle secoua la tête, parce qu'il était tout simplement hors de question qu'elle se baigne. L'eau était bien claire au moins, elle ne se serait pas salie, mais bon.
"Hum, je suis pas … Fan de l'eau, on va dire. Mais oui, je pourrais t'apprendre des tours, j'en connais plein que je réalise à la perfection, mais sur la terre !"

Une fois de plus, elle exagérait un peu ses propos, mais c'était parce qu'elle était la plus digne d'être admirée. Elle ne connaissait pas énormément de tours, mais juste assez pour dire qu'elle en avait plusieurs. Elle se creusa un peu la tête, à la recherche de tours qu'elle avait une fois exécutée, et ses souvenirs étaient vagues, très vagues.
"Mais ton tour était bien réalisé !"