Who are you

E
lle se demanda pour la troisième fois en cinq minutes pourquoi est-ce qu'elle avait mis les pattes dans cet endroit. Une envie subite de découvrir les autres chiens ? Peut-être. Elle n'était presque jamais descendue si bas parmi les humains. La curiosité ou plutôt l'ennui l'avait certainement poussée dans ce camp pour canidés. Une réaction bien étrange qu'elle n'avait jamais eu et qu'elle s'apprêtait à regretter tandis qu'elle se faufilait entre les bâtiments en évitant soigneusement toute piste humaine qui paraissait un peu trop fraîche. Il lui fallait au moins reconnaître que c'était un véritable challenge qui lui permettait d'aiguiser de nouveau ses sens émoussés par le temps mais cette fois-ci d'une manière différente. Il pouvait être intéressant de venir plus souvent ici. Elle se surprenait même à pouvoir se prendre au jeu.

Le fil de ses pensées s'interrompit quand l'odeur mêlée des chiens devint plus forte. Elle était à peu près sûre qu'il allait y avoir un chien qui la ferait prendre. Quelle idée stupide de s'aventurer si près de ce camping. La prochaine fois, s'il y en avait une, elle réfléchirait à deux fois avant de descendre en ville et de s'approcher de cette zone. Elle scruta l'allée des cages. Elle avait peut-être une chance de passer totalement inaperçue. Minime mais une chance quand même. En s'aplatissant un peu, elle s'engagea dans le passage avant de se figer d'un seul coup, arrêtée par l'aboiement d'un pensionnaire. Un malinois. Yago ? En voilà un qu'elle ne tenait pas spécialement à revoir. Non, il n'était pas lui. Seule la peur d'être découverte lui avait fait commettre cette erreur. Il était différent, beaucoup trop différent pour être lui. A commencer par sa queue battant l'air. Plus détendue, Nyméria se redressa, attentive au moindre mouvement qui pourrait trahir l'approche d'un humain. Sans méchanceté dans la voix, elle entreprit une tentative de communication.

«Pourrais-tu faire moins de bruit s'il te plaît ? Je ne suis pas vraiment censée être là.»

N
yméria loua silencieusement la présence d'esprit de son congénère. Elle entreprit de revenir un peu sur ses pas pour vérifier si personne n'envisageait de venir voir la cause de cette agitation puis, rassurée par l'absence d'odeur humaine, revint à son point de départ. Elle s'était faufilée en douce dans le camp et avait pris le soin d'éviter de laisser la moindre trace ou de croiser une quelconque âme qui vive. Tout était redevenu calme depuis que le malinois avait cessé de japper. Elle devait au moins avoir un peu de temps devant elle avant d'être trouvée et puisque l'autre chien s'était montré courtois à son égard, elle entreprit de s'approcher plus près du grillage et de s'asseoir en rassemblant ce qu'elle savait de cet endroit. Ce qui était très peu en fait. Elle se sentit presque désolée d'avance de ne pas pouvoir détailler ce qu'elle savait comme un habitué du camp pourrait le faire.

« Merci ! Et bien, par où commencer ? Je ne sais pas grand chose de cet endroit mais je vais essayer de rassembler mes maigres connaissances pour toi. En ce qui me concerne, non je ne suis pas un chien de ce camp, je suis un chien "errant" selon les humains, je crois que ça veut dire que je n'ai pas de maître et que je ne peux pas être acceptée ici si je n'en ai pas un. Je crois avoir entendu de nombreux touristes déclarer que nous sommes dans les Pyrénées, il me semble que c'est le nom de ces montagnes et pour le camp...j'ai vu de nombreux maîtres partir en laissant leurs chiens ici pour revenir par les chercher plus tard. J'ai aussi rencontré quelques chiens qui avaient des problèmes d’agressivité par exemple, c'est peut-être un lieu de thérapie ? »

Elle avait exposé tout ce qu'il lui avait été permis d'apprendre de la bouche des humains. La chienne ne pouvait que comprendre que le malinois soit désorienté, il en avait été de même pour elle quand elle était arrivée dans cette région. Elle avait même trouvé la chaleur insupportable en comparaison avec la Sibérie mais avait vite compris que c'était un endroit froid par rapport aux territoires plus en aval. Et puis, elle ne pouvait s'empêcher de se demander comment les chiens qui venaient ici arrivaient à gérer la séparation avec les leurs. Chose curieuse, il ne semblait pas y avoir de meute comme la sienne dans cette région du monde. Le contact avec les autres ne leur manquait il pas ? A mois qu'ils aient remplacé ces liens avec les coéquipiers par une affection particulière pour leur humain ?

« Oh, effectivement, je t'ai pris pour un autre malinois qui, je crois, est dans les alentours. Une sorte de fou furieux ? Ou du moins c'est l'impression qu'il essaye de donner. Je ne suis pas sûre qu'il vaille le temps qu'on perd avec lui. Tu le connais ou connaîtras peut-être si tu restes ici, il s'appelle Yago. Crois-moi, je suis ravie que ce soit toi et non lui que j'ai sous la truffe en ce moment. Mais comment t'es tu retrouvé ici ? »

Elle vérifia qu'elle avait encore le temps avant de regarder le mâle, de plus en plus curieuse de voir de quelle manière il réagirait à tout ce qu'elle venait de lui dire -c'en était presque trop pour elle tant elle n'avait pas l'habitude de parler- et pourquoi il se retrouvait coincé ici.

L
a chienne regardait attentivement Yankee tandis qu'il lui montrait le cadeau de son maître tout en l'abreuvant de détails sur sa vie. Si Nyméria avait croisé nombre de chiens de chasse de toute sorte, jamais elle n'avait eu affaire à un chien militaire. Elle garda dans un coin de sa tête toutes les informations que lui divulguait son interlocuteur en s'étonnant un peu du mode de vie qu'il menait. Elle ne comprenait pas qu'un maître puisse être si loin de son chien alors qu'il était si proche de lui affectivement. Plus il parlait, plus elle réfléchissait sur son cas en tournant et retournant toutes les possibilités dans son esprit. Elle remarqua qu'elle aussi avait oublié de décliner son identité. C'était vraiment un pli qu'elle devait prendre absolument.

«Et je m'appelle Nyméria !»

Avant de poursuivre son casse-tête, elle voulut d'abord le rassurer.

«Je pense que tu ne devrais pas t'inquiéter, je t'assures que ton maître ne t'aurait pas laissé là s'il ne comptait pas revenir. Et puis, il ne pourrait pas se permettre de vivre sans toi puisque vous êtes si importants l'un pour l'autre.»

Elle savait qu'il allait venir le chercher mais quand ? Impossible de savoir. Quant à la question de pourquoi il était là, c'était compliqué à définir. Il n'était ni agressif ni particulièrement peureux, c'était un chien normal qui avait l'air parfaitement équilibré. Et puis, si ça se trouve, il était juste là pour passer le temps ? Puis elle repensa à ce qu'elle avait affirmé quelques secondes avant. Aucun maître qui aimait son chien à ce point ne pouvait l'abandonner pas vrai ? Pourtant, elle n'était plus sûre de rien concernant la loyauté des hommes depuis qu'on l'avait lâchement abandonnée. Puis ses pensées divagantes s'arrêtèrent un instant sur l'exercice auquel on semblait le soumettre régulièrement et une idée fit son chemin dans son esprit. Elle voulut obtenir une précision de plus avant de l'exposer à Yankee.

« Est-ce que cette épreuve fait aussi partie des entraînements ?»