Une situation plutôt cocasse

Une situation plutôt cocasse

Charon était dans le jardin. Il était allongé devant la baie vitrée de la petite maison de pierre dans laquelle il vivait avec Julien. Son maître était au travail et puisqu'il devait faire le compte rendu de ses dernières sorties, il était au bureau et ne pouvait donc pas se faire accompagner de son chien. Inutile de dire que le jeune Tamaskan s'ennuyait. Et puis, ayant du sang de husky, il était normal que la suite des évènements se déroulent de la sorte.


Un miaulement à l'extérieur attisa sa curiosité. Il se mit sur ses pattes d'un bon puissant, les oreilles en alerte, le regard droit. Que se passait-il de l'autre côté de la clôture ? Ni d'une, ni de deux, le mâle s'élançait à toute vitesse pour franchir la palissade. Bien qu'elle soit assez haute, Julien avait nettement sous estimé l'agilité de son compagnon. Et il se hissa sans problème jusqu'en haut pour se laisser tomber tranquillement de l'autre côté.

Le chat avait disparu, mais le tamaskan était à présent libre de se promener où bon lui semblait. Si ces souvenirs étaient bon, les chiens du coin se rendaient souvent au camping où tout semblait se passer. Après tout c'était là que se trouvait la drôle de pension canine où ceux qui ne voulaient plus de leurs chiens venaient les abandonner. Drôle d'endroit tout de même.

Après une petite balade autour du village, il pénétra les lieux à ses aises. Charon n'avait pas vraiment de gêne quand il s'agissait de se promener. Il marcha en direction d'une grande étendue qui paraissait bien vide sans toutes les tentes des vacanciers. En ce mois de novembre, il n'y avait plus personne pour animer les lieux, et la pelouse était déserte. Un ou deux camping car en retrait l'habillaient.

Le chien longea les bordures boisés du camping avant d'entendre un bruit. Une odeur de chien accompagnait ces drôles de son. Sa curiosité piqué au vif, il s'y dirigea aussitôt.

Encore une cage...L’ombre ébène émit un grondement guttural.
Marchant de long en large entre les limites d’aciers assez spacieuse il faut l’avouer, la berger allemande noire attendait de son regard vif qu’on s’approche… Elle n’était pas là depuis longtemps. Un voyage inconfortable, quelques paroles de plusieurs humains à son sujet, et hop!cette cage. Fantastique. Bien!Non, vraiment, très bien. Pour le moment où n’attendait rien d’elle mais viendrait l’heure où à nouveau elle devrait… Plier. Non, pas seulement plier, mais faire exactement ce qu’on attendait d’elle, quitte à tout perdre.
Quel fou mettrait tout en jeu !
Et en fin de compte dès qu’on obéissait à l’ordre le plus rudimentaire, on s’impliquait déjà trop auprès des hommes. Sans parler de ses congénères.

Enfin, il vint. Un homme banal.
Shukara retroussa aussitôt les babines, qu’il soit bien conscient de ce qu’il faisait. Celui-ci s’arrêta une seconde : assurément, c’était une belle bête...Quel gâchis.
Quoiqu’il en soit, il la bloqua, lui mit habilement et sans heurt une solide muselière. Hé oui, on l’avait mis au courant des exploits de la bête féroce.Une laisse ensuite.
Cet instrument elle le connaissait bien , combien d’heures passées en sa compagnie !
D’un coup, la porte grillagée s’ouvrit. Au début, Shukara ne bougea pas. Rien.Pas un frémissement, pas une oreille.
_Allez la belle, viens.
Murmura tranquillement l’homme, provoquant le changement de position des oreilles de la chienne, qui les plaqua en arrière. Joignant le geste à la parole, il exerça une légère pression sur la laisse pour obliger la berger allemand à sortir.
Mais il suffisait de demander !

La chienne se leva,lentement et sortit de la cage à son rythme.
Très méfiant, il se plaça à une distance respectueuse, l’obligeant à marcher devant lui pour qu’elle n’attaque pas ses jambes : quant à elle, elle marchait tranquillement, découvrant l’espace devant elle...Ses yeux essayaient d’enregistrer le maximum de données possibles…
Pour le moment, elle se faisait sage, l’autre ne l’embêtant pas trop.
Précautionneusement, une fois mis dans ce qui ressemblait à un parc, l’homme raccourcit la longueur de la laisse et commença à donner de nouveaux ordres
Droite...Droite !
Shukara secoua la tête comme si la muselière la gênait, et s’assit quelques secondes plus tard. Le regard de l’autre était moins méfiant, il se demandait sans doute si la muselière n’était pas mal ajustée…
Soudain, sans prévenir, d’une puissante détente des jarrets Shukara fonça droit devant sous l’homme. Un choc, une chute, elle était libre !
Aucune hésitation, elle reprit un maximum de vitesse, passa au travers de la haie , courut encore et encore jusqu’à atteindre une clôture...La laisse la gênait, mais elle tenta.
Une nouvelle détente...L’air...Un arrêt violent de la corde, la chienne se retrouva violemment contre le sol, à demi étranglée.
Peste, maudite soit cette corde!Elle aurait du se méfier et observer.Tant bien que mal, elle se reprit sur ses pattes , avec un soupir rageur : bon, elle était coincée sur ce qui ressemblait à un camping désert...Super !
Et pour améliorer les choses, un chien approchait...Parfait!pensa-t-elle en grondant, tandis qu’elle tentait de se dégager, chose peu aisée avec cette muselière.

Elle le vit approcher,et même si leur race avait des points communs, elle n'avait aucune empathie pour l'individu qui la surprenait ainsi.Il fallait le tolérer le temps qu'il la libère de là, car elle n'y arriverait pas toute seule il semble...

"Oui, merci..."

Grogna-t-elle à moitié, refrénant la lueur hargneuse dans ses prunelles de jais.
Et elle cessa de bouger, se tendant involontairement à l'approche de l'autre.

Elle leva les yeux au ciel avant de les fermer. Ce n'était pas deux poils en moins qui allaient lui arracher des hurlements. En tout cas, cet inconnu se montrait utile. Superflu,mais utile...ouais, paradoxal comme raisonnement.

Elle sentait la mâchoire de l'autre travailler cette saleté.Au bout d'un fastidieux labeur, la pression sur sa tête disparut.
Avec plaisir elle s'ébroua, retrouvant l'usage de sa mâchoire...

Shukara tourna un regard moins dur sur le chien loup.

"Merci."

Elle ne pouvait que lui conseiller de se barrer, mais elle ne lui ferait pas de mal. Pas s'il comprenait qu'il ne devait pas rester dans le coin....

Shukara était irritée,certes. Ce chien (qui n’avait rien d’un dominant) ne comprenait pas qu’il devait juste...partir...partir...vite.
Instinctivement les babines ses retroussèrent sur sa rangée de crocs plutôt dissuasifs. Elle n’aimait pas devoir quelque chose, à personne.
Mais elle reporta sa mauvaise humeur sur la laisse, mordillant le cuir. C’était plus pour détourner son énervement, en réalité elle réfléchissait à cette situation gênante. Bon, déjà, finir de se libérer était une étape importante.

Aussi approcha-t-elle d’un pas vif de la barrière, et, se dressant sur ses membres arrières pour tenter d’ôter la laisse….Après un bon moment, elle parvint à se dégager….Avec la laisse traînant derrière...génial.
Elle regarda vaguement l’autre.

« Shukara. »

De toute manière elle n’irait pas très loin, c’était un fait avéré. Soudain la berger allemand sombre eut un soupçon…

« Tu es d’ici ? »

Cela pouvait toujours servir.

Dit-il curieux.

Donc c’était un habitué des lieux...Bien, très bien.
Ah mais maintenant il voulait tout savoir sur sa vie?Voilà qui était plus contrariant. Enfin, sans doute fallait-il qu’elle tempère ses pulsions meurtrières.
Sans grande amicalité, elle tourna sa tête vers lui

« Sache seulement que je n’ai pas choisi de venir ici. Tout ce que je veux, c’est quitter cet endroit. »

Sous jacent, la question du ‘comment’. En espérant qu’il devine comme un grand, et qu’il l’aide. Au pire, s’il se n’était pas son intention que de lui indiquer une issue, elle saurait bien l’y obliger. Elle était prête à n’importe quoi pour partir à tout jamais et fuir la compagnie de tous.

Le jeune Tamaskan était toujours couché dans l'herbe, il ne voyait pas du tout le danger dans l'attitude de Shukara. Il fallait dire qu'avec sa langue bien pendue, il partait du principe que si quelqu'un avait quelque chose à dire il le dirait, sinon c'était un camarade de jeu ou d'aventure. Á voir.

" Oh ... oui je vois. Je comprends. Personnellement je plains tous ceux qui atterrissent dans cet endroit, c'est vraiment pas terrible ici. Mais t'inquiètes pas, je connais le coin, je vais t'aider à t'évader, tu seras vite hors d'ici pour partir ou bon te semble ! "

Déclara-t-il d'une voix pleine de promesse.
Effectivement, Charon connaissait peut l'endroit, mais il en avait entendu parlé de par ses connaissances canines, alors de son point de vu le lieu n'était vraiment pas un endroit où il aurait aimé trainé. Les chiens qui venaient ici se retrouvaient emprisonner dans des boxes et loin de tout. Il fallait vraiment être fou pour croire que c'était une bonne chose pour un chien.

Les yeux de la berger allemand sombre s'agrandirent significativement, mais ce fut sa seule réaction notable.
La réaction de ce chien ne signifiait qu'une chose. Il était naïf.Peu compétent sans doute, pensa-t-elle en inclinant légèrement la tête sur le côté, les prunelles d'ébène dardant un regard intense sur son interlocuteur.

"Vraiment, voilà qui est parfait..."

Cela dit, elle ne s'attendait pas à un assentiment aussi rapide, dénué d'hésitation.
Elle restait assise, bien droite, prête à bondir, selon ce qu'on lui avait appris.

Que faire de lui? Attendre encore un peu...Il fallait voir ce que cela donnait.Enfin,il faudrait des résultats, vite

Charon se leva d'un bond avant de regarder autour de lui suspicieux. Il avait totalement oublié d'être discret, les humains trainaient en permanence dans les parages, il ne voulait pas attirer l'attention. Le mâle se pressa contre un buisson, se rapetissant pour se dissimuler. Il observa Shukara qui se tenait très droite face à lui.

Le Tamaskan prit le temps de réfléchir au meilleur chemin pour s'échapper d'ici. Il faudrait sûrement longer la haie puis passer par le trou dans le grillage qui était à l'opposé de la prairie. Un peu de discrétion et le tour serait jouer, d'autant plus qu'en cette saison les campeurs n'étaient pas non plus très fréquents.

" Le mieux c'est que tu te faufiles autour du terrain de camping en longeant la haie. De l'autre côté se trouve un trou dans le grillage où tu pourras te faufiler pour t'échapper. Je vais t'aider en détournant l'attention de toi. Cela te convient ? "

Demanda-t-il en l'observant avec sérieux.
Le gamin se prenait à présent pour un agent en mission. Rien ne l'empêcherait d'atteindre l'objectif.

Elle pivota légèrement ses oreilles, toujours à l'écoute des divers bruits. Effectivement, il y avait comme des patrouilles d'humains. Elle commença à établir des plans à plus courtes échelles...
Très bien...les données s'inscrivaient en son esprit à toute allure...Il fallait parer au plus pressé. Sortir de là!
Le chien en face donnait une idée une intéressante idée...

Oui, on va rendre la diversion plus réaliste,merci à toi!

Dit-elle avec un sourire carnassier, avant de bondir sur le tamaskan, et de le pincer plutôt fort à l'encolure; bien sûr , c'était très douloureux, mais elle ne l'avait pas vraiment blessé en attrapant le cuir pour cela.

Et elle partit au grand galop, en espérant que la réaction de cet inconnu soit suffisant intense en terme de frayeur ou de douleur ou les deux, au mieux!
Elle fuyait, à toute allure, cherchant cette sortie...Mais elle reconnut la voix de celui qui devait s'occuper d'elle...Fuir!

Le jeune chien totalement innocent était loin de se douter de la violence de la diversion que proposait Shukara. Avant même qu'il n'ait eu le temps de répondre cette dernière se jetait sur lui et il jappait au plus haut de sa voix. Malheureusement pour la chienne, ce n'était pas vraiment un plan judicieux car tous les regards se portèrent sur eux. Ils l'avaient vu, et ce n'était pas Charon qu'ils cherchaient. Le Tamaskan n'avait plus qu'à prendre les pattes à son cou pour fuir et retrouver son maître. Du côté de Shukara la course poursuite commençait, et ce ne serait peut-être pas en sa faveur cette fois-ci puisqu'elle était novice sur le terrain.

Charon eut vite fait de s'échapper de là pour retourner vaquer à ses occupations. Il se permit un petit coup d'oeil en arrière. Il ne comprenait toujours pas la réaction de la chienne, elle avait bondi sans crier gare. Aurait-il dû comprendre plus vite ce qu'elle signifiait ? Peut-être n'était-elle pas très doué en plan d'escapade ? Elle n'avait pas dû comprendre ce qu'il voulait dire, mais bon, à présent c'était le cadet de ses soucis. Il avait fait ce qu'il pouvait pour l'aider et elle s'était tiré une balle dans le museau avec tout ça. Peut-être qu'ils se croiseraient à l'avenir qui sait ?

Maudits humains...
Ils la talonnaient, sortant de partout, elle ne s'en sortirait pas cette fois soldat.
Acculée contre la barrière, elle montra tous ses crocs reluisants aux hommes...Perte de temps et d'énergie soldat...Tant pis.
Soudain, traîtrise, un coup de feu...Il n'aurait pas osé...

Toujours droite et roide, elle observa la flèche dans son épaule, grimaça, diantre, elle connaissait cette chose...

Vacillante, elle s'écroula. Tant pis, ça avait si bien commencé...