S'affirmer ou se laisser bouffer, ft Astrid

Les oiseaux chantaient gaiement un air dont eux seuls connaissaient les paroles, pendant que le vent accompagnait leur folle mélodie par un doux bruissement, dans lequel se répercutait les frottements des galets contre l’eau de la rivière. La nature était joyeuse, quelques lièvres bondissaient dans les hautes fourrées, insouciants voire téméraires, sans crainte de se faire égorger par quelque dangereux prédateur qui passait par là. Le soleil illuminait les Pyrénées, et aucun nuage se semblait vouloir gâcher cette merveilleuse journée qui s’annonçait. Il ne faisait pas chaud, non, pas de bon matin, perchés en altitude, mais l’air était frais et naturel.

Yago pataugeait entre les hautes herbes, peu intéressé par le magnifique panorama qui s’offrait à lui. Il observait le sol sur lequel il marchait, faisant attention à ne pas trébucher sur quelque trou qui parcourait le chemin que lui et Pierre avaient emprunté. L’homme sifflotait aussi, reprenant tant bien que mal l’air des volatiles qui volaient joyeusement dans les airs, dans un dingue ballet aérien. Sa main enroulée autour de la laisse se balançait au rythme de ses pas, tandis que l’autre se reposait dans la poche de son ciré jaune, lequel il ne quittait jamais, ou presque.

Le malinois était complètement perdu. Il ne comprenait pas pourquoi son cœur battait pour Nirvana, et comment était-ce possible que ce sentiment soit réciproque. Chaque matin, il espérait secrètement voir sa belle silhouette se détacher de l’horizon, il espérait qu’elle viendrait lui parler. Et pourtant, ils ne s’étaient pas vus depuis qu’il avait intégré pour une nuit leur demeure. Cela faisait six nuits, il avait compté. Sa blessure s’était bien rétablie, mais son palpitant non. Ce n’était pas une passade, un besoin pressant de se sentir aimé, de penser qu’il comptait pour quelqu’un. Ce n’était pas une émotion qui était passée en coup de vent, ça vivait en lui. Dans ses veines, dans son précieux sang, la chienne de berger existait aussi. Et ça le faisait fichtrement flipper. Il perdait les pédales, devenait un autre à cause d’elle. Il la remerciait de l’avoir tiré de cette mauvaise passe, de lui avoir donné envie, rien qu’un peu, de vivre, et il avait, comme si c’était un devoir, accepté. Et aussi, il lui en voulait. Elle avait jeté son dévolu sur lui, et lui avait lavé le cerveau. Il n’était plus ce chien redouté de tous, même d’elle, mais un bout de guimauve tout flasque qui ne faisait peur à personne.

Pourtant, il s’était entraîné, ce matin même, pour se prouver qu’il n’avait pas tout perdu de cette aura dangereuse, en s’attaquant férocement à un roquet qui n’avait rien demandé dans le pré voisin. Et il avait ressenti cette mauvaise fierté, comme un souffle de son maître, qui lui disait qu’il avait bien fait. Se battre restait pour lui vital.

Et quand cette chienne, une épagneule surgit, à quelques dizaines de mètres, il se prépara à bondir. Ses muscles se contractèrent, et il fixa la chienne avec une envie sanguinolente puissante. Mais, durant toute une année au camping, il avait appris à rester calme, et la présence de Pierre faisait son effet. La laisse se tendit, et il s’arcbouta contre le harnais. Ses muscles ressortaient davantage, et il avait en cet instant, tout du chien de combat.
« T’as pas peur, poupée ? Tu devrais. »