All that glitters isn't gold, ft Nirvana

La petite chienne eut un mouvement de recul, quand elle aperçut le lac gelé qui apparaissait non loin. Elles se rapprochaient dangereusement de lui, à très vive allure, pour ne pas que Pierre et Hugo ne puissent les rattraper. Les frères avaient profité d'une accalmie de la montagne (sans mauvais jeu de mot) de boulot du patron du camping pour profiter d'une balade comme au bon vieux temps, lorsqu'ils n'étaient encore que des gosses. Pepsi avait été de la partie, ainsi que Nirvana. Les deux chiennes avaient discuté très peu, mais dans un accord commun il avait été décidé qu'elles se barreraient dès qu'elles en auraient l'occasion.

  La raison ? Leur instinct leur avait dicté de monter en haut de la montagne, pour retrouver un de leurs congénères, si puissant qu'il posséderait des centaines de cadeaux pour eux. La beige, désireuse d'être la plus gâtée possible, souhaitait plus que tout être la première à parvenir jusqu'à ce mystérieux chien qui n'attendait qu'elle, qu'elle seule. Alors, comme la berger était de la partie, elle l'avait prise sous le coude, pour avoir un guide. Ces pics, elle ne les connaissait pas du tout.

  La pétillante femelle grimaça une fois qu'elle fut arrivée, et se tourna vers Nirvana. C'était naturellement qu'elles s'étaient tournées vers le lac, puisque le chemin était le plus rapide. Pas sûr qu'il soit le plus accessible cependant. Bien habituée à son petit confort, elle préférait être en haut de la montagne très vite, pour y redescendre à la vitesse de l'éclair, et retourner dans son bungalow couverte de présents. Cependant, l'eau lui faisait peur. Très peur. Une phobie. Et savoir que sous cette couche qui paraissait solide de glace se trouvait de l'eau, ça lui prenait aux tripes, et lui glaçait le sang. Sous sa frange mal coiffée, ses yeux assurés et autoritaires prenaient une teinte qu'on lui connaissait moins. L'incertitude, le dilemme. Elle devait y aller ! Et puis elle était moins lourde que Nirvana, alors la glace ne se briserait pas sous son poids.
Bon, tu es prête ? J'espère que ce n'est pas une erreur d'être passées par ici. Parce que je ne sais pas nager, enfin j'ai jamais essayé, enfin bref, tu me sauves si j'ai un problème, de toute façon !"

  Elle hocha sèchement la tête pour elle-même, et posa sa patte sur les éclats gelés aux allures de diamant.

  Les deux chiennes se comprirent l'espace d'un instant, et une fusion avec Nirvana coula dans les veines de Pepsi, qui se mit à espérer. C'était possible, après tout, de traverser le lac, si elles y allaient patte dans la patte en se concentrant. Elles devaient y aller, le chien-Noël les attendait et d'autre parviendraient à lui si elles ne se dépêchaient pas et qu'elles restaient là à hésiter devant ce lac glacé. La berger, passé son moment d'hésitation, se secoua un coup, projetant quelques flocons de neige çà et là.
"Allons-y !"

  Et sans que la petite griffon n'ait eu le temps de l'arrêter, elle s'élança avec fermeté mais aussi le coussinet un peu hésitant, sur le miroir. La beige attendit un moment, puis la suivit tout doucement. Le froid la saisit aux os, et elle lâcha elle aussi une grimace due à cette presque brûlure glaciale (bel oxymore, me direz-vous, mais vous avez sûrement déjà connu cette sensation).
"Si je passe, tu passe.."

  La pâlotte renifla l'eau immobile, et sa truffe faillit se coller au sol figé. Elle entendit le glouglou de l'eau sous la fine couche de glace, et, prise de panique, elle ne prit même pas la peine de prévenir Nirvana. Si l'autre faisait un geste de travers, elle aussi ayant peur, c'était leur fin à toutes les deux. Dans un silence pesant, elles progressèrent un peu, et la glace craquelait sous elles. C'était Nirvana qui avait pris les devants, mais comme elle était plus lourde, c'était Pepsi qui récupérait l'eau gelée fragile. Sous cœur battait à tout rompre dans son poitrail, et sous sa frange, ses yeux restaient fixés sur l'arrière-train balançant de sa compagne d'infortune. Elle n'osait pas regarder le paysage, pourtant magnifique, pour la simple et bonne raison que se savoir en plein milieu d'un lac gelé.

  La petite griffon commençait à imaginer des scénarios gargantuesques dans lesquels un incendie les surprendrait tous, entraînant la fonte de la neige et sa mort certaine. Elle prit la parole, un peu incertaine mais pressée de briser ce silence d'or :
"C'est dangereux hein ? On aurait dû prendre le détour Nirvana, la glace se fond !"

   Elle finit sa phrase en criant un peu d'une voix suraigüe, tentative pour calmer ses nerfs à rude épreuve. Ponctuant ses mots, ses griffes crissaient sur la glace, puis elle reprit :
"Ahlala, tout ça pour des cadeaux qui ne vont peut-être pas me plaire, ou que j'aurais en double, t'imagines, ça ? Je suis déjà assez gâtée à la maison !"

Nirvana lui lançant un regard vraiment furibond, la plus petite secoua la tête. Elle se formalisait pas de cette jalousie. Tout le monde n'avait pas la chance d'avoir des maîtres comme les siens. Mais en même temps, heureusement qu'elle était chouchoutée, elle était la meilleure compagne que ses propriétaires auraient pu avoir. Une belle bouille aussi petite qu'active, c'était une perle rare.
"Hum, j’espère que la glace sera assez épaisse tout le long du trajet."

Pepsi releva les yeux vers l'arrière-train ballotant de sa chère partenaire de route. Cette petite remarque lui ramena les pattes sur terre. Et une fois de plus, elle se demandait si c'était une bonne idée d'être venue par ici. Bien sûr, malgré ce qu'elle voulait faire croire à Nirvana, elle mourrait d'envie de découvrir ce qui se cacherait derrière ce chien-Noël. Peut-être un de ces manteaux dont elle avait toujours rêvé mais que ni Hugo ni Lucie n'avaient voulu lui acheter. Si elle rentrait sans avoir atteint son objectif, en hypoglycémie, elle comptait sur leur âme généreuse pour l'habiller plus chaudement les prochaines fois.
Elle jeta un regard au "sol", écoutant ses propres griffes cliqueter contre la glace. A part le fait qu'elle lui brûlait les coussinets tant elle était froide, elle se semblait pas prête à se briser. Et pourtant, les mots de la berger l'avait stressée. Ah, pourquoi était-elle obligée de toujours ramener les sujets moins gais sur le tapis ? On ne devait pas rire tous les jours avec elle. Pff, elle n'était pas drôle ! Cependant, elle la rejoignit au petit trot, au mépris du danger.
"Juste pour savoir. C'est un style de vie d'essayer de faire flipper les gens ou tu en fais exprès parce que c'est moi ? Sache que je n'ai ab-so-lu-ment pas peur. A moins que tu n'essayes de te rassurer à voix haute. Ou alors tu trouves le son de ta voix très mélodieux ?"

Elle lâcha un petit rire, amusée par son propre humour.

  Un silence presque aussi glacial que l'endroit dans lequel elles se trouvaient répondit à Pepsi. Celle-ci laissait son regard posé sur sa collègue d'infortune, attendant impatiemment une réponse. Sans doute l'avait-elle trouvée drôle, parce que c'était le cas. Elle était très marrante comme personne, mais parfois les autres n'appréciaient pas son humour. Ils n'en avaient pas, c'était très clair. Et quelque chose lui disait que c'était le cas de la berger, non réceptive à sa petite pique.
"Tu rigole à chacun de tes propos pour combler le vide d'où ils viennent, où tu as simplement peur que personne ne réagisse à ta méchanceté passive ?"

  La petite blonde faillit presque en tomber par terre. Quelle élégance dans ses paroles ! Non, sérieusement, pour qui elle se prenait ? Un peu châtaigne à l'idée de s'être fait rembarrée de la sorte sans aucun autre motif que le seum, elle reprit très vite sa contenance, prête à répliquer elle-ne-savait-trop-quoi à la berger. Mais celle-ci reprit, d'un ton plus philosophique :
"Et puis, je ne vois pas le mal à avoir peur, c'est normal comme sentiment, surtout dans cette situation précise ; de plus rappelle moi qui trouvait la traversé dangereuse et voulait avoir de l'aide en cas de problème..? M'enfin j’espère juste vraiment que tout va aller pour le mieux, pas toi ?"
Tu m'as suivie, je ne t'ai pas mis la griffe sous la gorge je te rappelle. Et effectivement, j'n'ai pas envie de mourir ici, en ta compagnie. Ne le prends pas mal mais je préfèrerai être entourée de mes amis. Et de mes maîtres."

Elle s‘empêcha de rire une nouvelle fois pour ponctuer ses propos, un peu vexée, il fallait le dire, de s’être fait traitée implicitement de peste idiote. Mais elle était fortement amusée par tout ce qu’elle disait. En réalité, elle riait plus de ses blagues que de celles des autres. Quel bon public elle était pour elle-même, haha !
"Et "juste pour savoir", tu comptes continué de la sorte tout le trajet ou essayer de le rendre un tantinet soit-il plus agréable ?"

Haha ! Elle avait repris ses mots, signe que l’esprit de Pepsi s’immiscait dans celui de Nirvana. Tous les chiens sans personnalité suivaient la sienne, c’était fabuleux. Elle devenait une popularité dans le camping, et ça lui faisait fichtre plaisir qu’on reprenne ses expressions. Elle rendit un sourire jovial à l’autre, en réponse au sien, qu’elle ne savait pas vraiment comment interpréter, mis à part que cela ne la mettait pas franchement en valeur.
« Je comble le vide de ton silence. Quand il n’y a pas de bruit, on se concentre plus sur le danger, alors que là, tu t’énerves, sans raison d’ailleurs, et tu ne te concentres pas sur la route à parcourir. Puisque je suis le seul objet de tes pensées, pour le moment. Tu comprends ? »

Les regards des deux compères se croisèrent, et Pepsi ne cessa pas de sourire. Quoi qu'il se passât dans la vie, mieux fallait l'affronter dans la bonne humeur. Selon quoi, il était inutile d'affronter les obstacles avec la boule au ventre, de se crier dessus sans en éprouver du plaisir. En réalité, elle s'amusait beaucoup de cette escarmouche, même si sa susceptibilité risquait d'en prendre un coup rapidement. Nirvana avait la réplique facile, si bien que les remarques fusaient comme des éclairs, et c'était très drôle.

Souvent on la critiquait pour son sens de la mauvaise foi. Mais les autres ne se doutaient pas vraiment qu'elle préférait ne pas contourner le sujet problématique, juste pour mettre les pieds dans le plat pour le fun. Alors ils s'énervaient, montaient sur leurs grands chevaux, et, satisfaction personnelle, l'incitait à leur clouer le bec.
Mais bien sûr, elle ne faisait ça qu'à ceux qui n'en valaient pas la peine. Là, elle s'amusait de la situation, mais en réalité appréciait suffisamment Nirvana pour calmer le jeu quand il le faudrait. Celle-ci lâcha un petit rire désabusé, et, après quelques secondes, répliqua :
"J'avais peur et tu à lancer les hostilités ; voilà où on en est."


Pepsi ne prit pas le temps de répliquer, un craquement, il fallait le dire, assez terrifiant emplit l’air. En réalité, elle fit exactement comme Nirvana, lançant un regard presque suppliant au ciel, mais se rendit à l’évidence très rapidement. Non, ce n’était pas le grondement du tonnerre, mais bien la glace qui venait de se fendre dans un bruit sourd. La situation devenait fort critique, à vrai dire. Elle risquait de mourir ici, dans ce lac, noyée !
Le pire de ses cauchemars commençait à se réaliser. Il faisait froid, tout son corps s’engourdirait doucement, et elle avalerait de l’eau, cracherait, pour finalement se faire déporter par les vagues, en hurlant au désespoir sauf que personne ne l’entendrait, sa chère collègue d’infortune flottant misérablement dans l’eau, silhouette d’antan. Non, elle ne pouvait pas, c’était impossible pour elle de subir ça ! Il fallait que la glace résiste ! Il le fallait !

La berger lâcha un grognement que, dans sa panique, la plus petite ne comprit pas. L’observant avec panique, elle reproduisit, sans qu’elle n’ait eu besoin de lui dire, les mouvements qu’elle faisait. S’allongeant à moitié sur la glace, répartissant le poids de son corps également sur le lac gelé, elles s’apprêtaient à affronter l’ennemi. Tout doucement, Pepsi, inspirant par profondes goulées pour ne pas perdre son sang-froid, même si elle était en réalité morte de trouille, avança. Sans même se rendre compte que le froid s’infiltrait sous son ventre, et que ses coussinets la brûlaient par à-coups, elle avançait, misérable.
"Imite moi, on va avancer lentement, si ça craque, pars dans l'autre sens."

Très intéressant comme remarque, ne put s’empêcher de songer la petite chienne avec ironie. Elle n’aurait pas foncé la tête dans le trou de glace, comme une idiote, après tout !
« Nirvana ! Il faut qu’on contourne la fissure ou qu’on saute par-dessus ? »

Après un moment de réflexion à vraiment y réfléchir, elle reprit, un soupçon de fierté dans la voix :
« Peut-être vaudrait-il mieux passer par-dessus pour éviter qu’elle ne s’agrandisse trop. En même temps, le trou est pas large pour l’instant, si ? A mon humble avis, on avance jusqu’à la fissure, et on passe par-dessus. »