Loin du monde, proche du repas (libre)

Plus tôt dans la journée, j'avais fui la foule et l'agitation du marché, une fois j'avais fait l'erreur d'espérer manger là bas, une seule, les enfants m'avait littéralement sauté dessus, et, pas que ça m'ai vraiment saoulé ou épuisé, mais je n'avais rien eu en terme de nourriture, un peu douloureux ces enfants d'ailleurs, un petit blondinet, vraiment très petit, avait pris un malin plaisir à me tirer les oreilles, et ses parents, au lieu de me venir en aide, avaient ris et... pris des photos, oui, sérieusement, DES PHOTOS, moi je tournait la tête du mieux que je pouvais pour moins avoir mal, et eux, tout ce qu'ils trouvaient à faire, c'était des photos. Y'a vraiment des humains qui me désespèrent des fois...

Mais donc me voici, au camping, à la recherche de quoi que ce soit de comestible, que ce soit des restes par terre, une poubelle ou un maître compatissant qui ait, que ce soit pour moi ou pas, laissé une gamelle dehors, pleine, de préférence.
Bingo ! Une poubelle, je lui saute dessus et agrippe le plastique amer de mes crocs, elle avait intérêt à en valoir la peine, une fois décroché, je lâche le sac au goût immonde et entreprend de l'ouvrir, de le secouer et de le vider de sa contenence, mais à l'intérieur, rien de bien nourrissant, un vieux sandwich à moitié mangé et un trognon de pomme, même en cherchant bien, je crois que je ne comprendrais jamais comment les humains pouvaient jeter autant de trucs, c'était comestible, non ? Sinon, il n'avait qu'à prendre autre chose qui leur conviendrait mieux...
Leur logique imparable me ferait toujours rire, mais quel qu'elle soit, elle m'était bien utile, ce que eux ne voulaient plus, me nourrissait, même si là c'était plutôt peu.

Délicatement, j'enlève le pain du sandwich et l'avale, non sans des efforts tant le pain avait durci, je renifle le jambon, avarié, dommage, j'aurais bien aimé un peu de viande, mais tant pis, je le jette à côté et me régale avec le reste, y compris le trognon.

J'ai encore faim.

Cette fois ci je m'approche des tentes, bon, je l'admet, dans l'espoir de chiper un peu aux autres, il y en avait bien assez pour tout le monde.
Et quelques minutes plus tard, me voilà rassasié, à la recherche désormais d'un chien à emmerder avec qui jouer.

Une sorte de mini chien beige aux poils longs débarque, quasi immédiatement je remue la queue, heureux de croiser une congénère, et je la salue en retour plus familièrement :

-Salut ! Nan je pense pas qu'on se connaisse, moi c'est Moebe, et toi ?
En fait, je me baladais juste.


Ce n'était pas totalement faux, je ne cherche plus à manger, mais je ne tiens pas vraiment à lui expliquer que je fouillais dans les poubelles et que je volais dans les gamelles, c'est sûrement pas civilisé  pour une domestique, elle sent le vernis que les humains mettent sur le bois (puisque je suis sûr que même moi je sens l'humain, c'est pas trop un critère), je n'ai pas besoin d'être futé pour capter qu'elle vit dans un chalet, au moins temporairement, comme toutes ces familles qui ne restaient que quelques jours, après elles disparaissent dans des choses qui font un boucan monstre, qui puent et qui font mal quand on se les prend, je sais plus trop qui m'avait dit ça, peut-être Maman, peut-être un inconnu, peut-être que c'était ma cervelle. Peu de chance que ce soit le dernier cas.

-T'es avec des humains ?

Façon polie de demander si j'avais visé juste, pas sûr qu'un "T'es une domestique qui obéis à des humains ?" serait bien passé.
Je m'en étais pas rendu compte, mais depuis tout à l'heure je ne tiens pas en place, je bouge, gigote, mais si c'est une aristo, elle voudra certainement pas jouer.

Je me sens observé, scruté, elle observe mes côtes, instinctivement, je met mon coude pour les cacher, elle n'est pas bien effrayante, mais l'habitude a pris la logique de vitesse, aussi incroyable que ça puisse paraître, il y a des domestiques bien moins civilisés que les errants, faut dire, à force d'obéir à ces fainéants d'humains, c'était forcé qu'il y aurait des séquelles dans leurs esprits, je sui bien content d'être tranquille dans ma montagne moi.

Ahhh... La montagne, c'est vrai que ça fait un sacré bon terrain, mais il manque une chose cruciale, une chose sans laquelle mon monde s'arrêterait de tourner, elle qui me nourrit de joie et occupe mes journée: des gens à faire chier.
Comment peut-on vivre seul, enfin je veux dire, totalement seul, je ne juge pas ceux qui y arrive, mais ça doit manquer de piquant comme vie, sans aucune réaction bizarre, sans aucune râleuse pour hurler, c'est quand même plus joyeux avec les autres.

-Mais y'a pas d'autres chiens, c'est cool quand y'a des gens à qui parler.

Ça me manquerait trop de vivre sans, quitte à que ceux qui partent me manquent, j'ai pas envie de vivre dans ma bulle tout seul, paumé au milieu de nul part, mais ça veut pas dire avec un humain, nan, eux je peux parfaitement vivre sans, y'a pas de soucis.

Elle retourne ma question contre moi, mais faut pas rêver, j'ai de la repartie, enfin, on va plutôt dire qu'à force, je sais comment dire ça poétiquement, ou pas, j'ai pas vraiment le sens de ce qui est poétique et de ce qui ne l'est pas.

-Moi c'est la montagne ma maison, et y'a pas besoin de maître là haut

Je le dit fièrement, mon privilège c'est ça, certes j'ai pas grand chose, mais j'ai rien à perdre non plus, et ça me suffit bien comme vie, je préfère me débrouiller que d'avoir une existence prémachée par des humains.
Y'aurai rien de pire à mes yeux que ça, la liberté devrait toujours primer sur la facilité, tant pis si c'est difficile des fois, ça vaut le coup.

Je la vois s'amuser de ma magnifique répartie, le bon côté des choses c'est que c'est pas une aristo pète-sec, mais encore une fois, elle retourne mes réponses contre moi, je vais finir par me demander si elle le fait exprès, c'est pas grave, au fond, c'est normal d'être curieux, non ?

-Un peu, entre autre, mais eh, j'y arrive, des petits trucs, certes, mais j'y arrive quand même !

Je dis ça sans perdre ni mon ton fier, ni mon enthousiasme, je ne sais pas si je lui avouerais que c'est plus des animaux du style souris et campagnol, que des lapins ou des marmottes, j'ai jamais attrapé de marmotte, elles courent trop vite ces fourbes, et avec leurs tunnels, c'est compliqué...

Cette fois, elle aborde le sujet des poubelles, je me renifle la patte, mouais, j'ai déjà pué plus que ça, mais pas de bol pour toi, cette fois encore, j'ai préparé la réponse, et en plus ça colle avec ta question d'avant, je souris comme jamais, là je sais pas de quoi je suis le plus content, de ma réponse ou de ma vie.

-Ça c'est pour quand y'a plus de proie, et pis bon, y'a pas besoin de quémander, y'en a, ils me voient, ils posent une gamelle et ils me disent d'approcher, pas besoin de demander !

Ce que je dis pas, c'est que y'a pas que ça, comme technique pour trouver à manger, mais au moins avec moi y'a pas de gaspillage et j'aide les autres à faire leur régime, rien de bien méchant quoi.

Je suis content d'arriver à l'amuser, et en plus, elle a pas retourné la question contre moi !!! C'est incroyable, ça me rend joyeux, bon, ça lui ferait un peu pitié de savoir que ça me suffit pour être content comme jamais, mais j'me satisfait de peu, j'y peux rien moi. Et puis bon, j'ai raison d'être content, parce qu'après, juuuuste après, elle me propose de bouffer dans sa propre gamelle, en fait, elle est super sympa comme chienne, ça illustre mes propos et j'ai pas besoin de supporter la pitié d'humains pas beaux puisqu'ils sont pas là.

-Je ne refuse jamaiiiiis de nourriture bonus, ja-mais, que je dis en rigolant à la fin, je m'amuse à prendre l'air snob en gardant ma tête satisfaite qui doit jurer avec mon odeur, moi je vois pas en quoi je sens pas bon mais, d'accord, je veux bien faire comme si je le voyais.

Allure qui s'arrête immédiatement quand elle dit que c'est bizarre chez les humains, ma curiosité était revenue discrètement et là, elle avait pris le contrôle de mon pauvre corps.
J'pense pas que c'est un piège, Pepsi elle est sympa, et les humains en ont rien à faire de m'avoir, ils en avaient déjà rien à faire avant que je naisse alors maintenant que je sais mordre, et bah là, ils ont juste pas intérêt.

-À ce qu'il paraît, les humains sont complètement accros à leurs chiens, est-ce qu'ils ont un endroit où ils prient pour toi ?

Question stupide mais moi j'veux savoir, bah attend, ça peut être marrant un humain à genoux par terre en train de supplier Peps' de lui faire une lèchouille !