La pire torture qui soit !

La pire torture qui soit !

Comment ? Comment osait-elle l’abandonner ici ? Lisa était une imbécile finie à croire qu’elle pouvait la laisser enfermer une après-midi au chenil alors qu’elle était partie au SPA avec sa famille. Évidemment, si Nami était moins destructrice pendant ses moments de solitude, elle serait confortablement restée au chalet, mais les humains ne pouvant pas lui faire confiance pour ce coup là préféraient la confier à la pension quelques heures. C’était plus raisonnable. Enfin dans leur opinion. Pour ce qui était de Nami, si elle n’avait pas une image à maintenir elle ne se serait pas privée de hurler à la mort pour témoigner de son mécontentement face à la situation.

Elle était acculée, dos au mur à observer les barreaux de sa cage. Elle était prisonnière, nul par où aller, nul part ou fuir. La chienne était au summum de l’anxiété et le pauvre fou qui oserait s’approchait risquait bien de se faire mordre.

La chienne resta immobile encore sous le choc de ce qui lui arrivait. Elle ne comprenait pas bien l’injustice de ce monde cruel. Après quelques minutes où on aurait pu croire qu’elle faisait parti du décor elle prit son élan et se jeta contre le grillage avec violence. Une fois. Deux fois. Trois fois. Rien à faire c’était du solide. Dépitée elle commença à faire les cents pas comme un lion en cage, son esprit fusant à la recherche d’idées pour se sortir de là.

Très vite, Achille s'était mis à s'ennuyer, et l'ennui lui était insupportable, à lui qui débordait d'énergie. Il se mettait à aboyer, à s'agiter comme un dingue dans son chenil, à hurler pour qu'on le laisse sortir et courir. Mais au contraire, on ne le laissait plus sortir, et on évitait de le visiter trop souvent, car tout cela l'encourageait à se comporter en impatient. Son caractère n'était pas facile à gérer : sitôt libéré, il courait comme un dératé sans écouter personne, et on avait failli le perdre plusieurs fois.

Il restait beaucoup dans son chenil.

Et forcément, voir une chienne devenir sa voisine de chenil, ça l'avait agité.

" Allez, allez ! Dites à Monsieur Duchamp que je suis prêt pour la chasse ! Je vous donnerai plein de lapins !!! " hurla-t-il au malheureux qui faisait rentrer Nami dans la prison voisine.

Il ne le regarda même pas, et dès que le chenil fut refermé, il s'éloigna sans un mot pour lui.

" Mais je suis là ! Tu ne m'entends pas ? C'est quoi, ton problème ? " hurlait-il toujours vers la silhouette humaine qui s'éloignait.

Puis, sans paraître le moins du monde déçu d'être ignoré par cet humain, il se retourna vers la nouvelle arrivante.

" Dis ! Salut ! " Elle ne disait rien, mais faisait les cent pas. Ce mutisme le déconcerta. " Tu crois que la chasse va commencer quand ? J'ai hâte de sortir. Tu es déjà venue ici, toi ? D'ailleurs, j'ai l'impression qu'on ne se connaît pas ! "

Il parlait toujours beaucoup, surtout lorsqu'il était en manque de travail : c'était une façon comme une autre d'évacuer son énergie.

" Je m'appelle Achille ! Et toi, et toi, tu t'appelles comment ? " il se disait que peut-être, à deux, ils pourraient faire passer le temps plus facilement. Et puis, quand on débordait d'énergie, c'était difficile d'ignorer quelqu'un qui vivait à quelques mètres de distance de lui, à peine.

C'était bien mieux qu'une cage vide.

Izanami était dans son monde, enfermée dans son esprit à revivre ses pires moments d'abandon. La chienne était trop centrée sur elle même pour ne serait-ce que remarquer le chien qui se trouvait à ses côtés dans le box voisin. Elle continua à tourner en rond comme une bête en cage prise de toc. Sa prison ne lui plaisait pas du tout. Lisa avait intérêt à avoir une bonne explication pour tout ça où Nami lui ferait la tête jusqu'à nouvel ordre. Si elle sortait d'ici dans tout les cas elle bouderait sa maitresse !

Une petite voix braillarde commença à pénétrer son espace de pensée. La chienne l'ignora au début. Mais cela ne semblait pas se calmer et perturbait grandement ses plans d'évasion. Elle tourna la tête en direction de l'épagneul breton, un regard à tuer affiché sur la figure. La chienne au allure primitive le fixa pendant plusieurs instants. Dans sa tête elle comptait, jusqu'à trois pour être exact, ce qui ne laissait guère le temps à cet idiot de se taire. Puisqu'il continuait toujours à parler elle fondit sur lui se heurtant dans un fracas au grillage qui les séparait. Izanami ne réfléchissait plus vraiment. Elle agissait sous le coup de l'émotion et cet ado braillard l'agaçait au plus haut point.

" Tais toi je réfléchis ! "

Cracha-t-elle à son voisin en le foudroyant d'un regard noir.

Achille n'avait pas beaucoup fréquenté de brutes. Ses amis chiens de chasse étaient tous très sociables, et il découvrait à peine ces extravagants chiens non-chasseurs qui peuplaient Orcière-sur-Val. La drôle de tête de la femelle n'eut donc pas tout à fait l'effet escompté. Il la trouvait bizarre, oui, mais pouvait-il vraiment avoir peur d'elle alors qu'il avait eu tout le temps d'apprécier l'excessive "sécurité" que lui offrait sa propre cage ?

Il ne put malgré tout s'empêcher de sursauter quand elle se jeta contre le grillage. Elle devait avoir de la force, car cela avait fait un sacré tintouin !

" Eh ben !
- Tais-toi ! Je réfléchis ! "

Elle aurait aussi bien pu lui demander de voler comme un avion, car son envie de parler était irrépressible :

" Elle est solide, la cage, hein ? Moi aussi, j'ai essayé de sortir, mais je n'y suis pas arrivé. Tu ne dois pas connaître, je suppose. Je ne connaissais pas non plus. "

Quelque chose lui disait qu'il ne lui servirait à rien de parler de chasse à cette furie, elle se comportait d'une façon trop inhabituelle pour qu'il puisse vraiment la situer dans son monde à lui. Encore une qui fait partie de ces chiens qui me disent qu'ils ne chassent pas, à tous les coups.

" Tu ne m'as pas l'air contente. Je suppose que tu pensais, comme moi, que tu allais rester avec ton maître. "

Achille était incapable de son croire que son maître avait souhaité le laisser enfermé ici. Monsieur Duchamp avait toujours tellement pris soin de lui, il avait dû se passer quelque chose. Il y avait un problème.

" On verra qui de nous deux va sortir en premier... Jusque là, on m'a fait sortir tous les jours mais les humains d'ici n'aiment pas qu'on s'éloigne. Et ils n'aiment pas non plus quand on fait du bruit. Et même quand on sort, à chaque fois, ils finissent par nous raccompagner jusqu'ici. "

Pourquoi, pourquoi n'avait-il pas revu son maître ? Plus il y pensait, plus ça l'inquiétait. Il se surprit à espérer que Charon reviendrait vite, lui donner des nouvelles.

La chienne se serait jetée sur lui pour lui rabattre le caquet si seulement ce grillage solide ne les séparait pas comme l'adolescent venait de le souligner si gentiment. Izanami n'était pas de bonne humeur. Son agressivité montait en flèche lorsqu'elle était anxieuse. Ordinairement, la chienne pouvait se montrer un peu sévère mais jamais elle n'aurait montré les dents avec autant de méchanceté. Non. La solitude la terrifiait tant que sa réponse était la rage et la violence.

Pendant quelques minutes, la chienne tourna le dos à l'épagneul breton pour retourner faire les cents pas dans sa prison, mais il continua de parler, visiblement trop idiot pour comprendre un ordre simple ou au contraire trop rebelle pour obéir à de simple commande. La chienne se rua sur lui de nouveau, marquant un ralentissement impressionnant pour ne pas percuter la grille avec trop de violence. Cette fois-ci elle se dressa sur ses pattes arrières pour surplomber le jeunot, appuyant ses antérieures sur la séparation. Elle baissa la tête dans sa direction et lui aboya dessus.

" Écoute gringalet ! Ma maitresse va venir me chercher ce soir, ok ?! Je ne suis pas comme vous. Personne ne m'a abandonné dans cet endroit miteux. Bien sûr que je vais sortir de ce trou à rat avant toi. Y a que des inconscients sans cervelle pour laisser un chien ici plus de 24h. Lisa elle n'est pas comme ça. Elle me laisse ici une après-midi pour aller faire une activité avec sa famille. "

Cracha-t-elle sur le jeune chien, tantôt pour lui montrer à quel point elle méprisait la situation dans laquelle les mettait leurs maitres, tantôt pour se rassurer sur le fait qu'elle n'avait pas été abandonnée.
Elle croyait réellement que Lisa reviendrait, mais au fond d'elle elle ne pouvait s'empêcher de douter à chaque fois que sa maitresse disparaissait. Et si c'était la dernière fois ? Non elle secoua la tête avant de retrouver le sol avec ses quatre pattes. Il ne fallait pas penser au pire. Bientôt Lucky serait là pour lui tenir compagnie et tout irait mieux !

Il ne put s'empêcher de remuer la queue avec combattivité en la voyant miner de se jeter sur lui pour lui déchiqueter les oreilles. Achille n'était pas éduqué à craindre les chiens agressifs, il ne voyait dans les bagarres qu'un jeu qui n'était pas son sport favori mais qui n'en était pas moins drôle pour autant. Au fond, il trouvait ça chouette, d'être en vivante compagnie, et de la sentir d'humeur à jouer.

" Écoute gringalet ! Ma maitresse va venir me chercher ce soir, ok ?! Je ne suis pas comme vous. Personne ne m'a abandonné dans cet endroit miteux. Bien sûr que je vais sortir de ce trou à rat avant toi. Y a que des inconscients sans cervelle pour laisser un chien ici plus de 24h. Lisa elle n'est pas comme ça. Elle me laisse ici une après-midi pour aller faire une activité avec sa famille. " gronda la voisine, aussi impressionnante qu'elle pouvait l'être.

" Ouais, ouais ! " chantonna le jeune imbécile, débordant d'insouciance. Il semblait presque n'avoir rien écouté de ce qu'on lui disait. Ce n'était pas tout à fait le cas, car cette louve savait se faire entendre et se mettre au centre de l'attention. Bien mieux que lui, d'ailleurs.

" Tout va bien, alors, c'est ça ? " Il la taquinait, mais c'était parce qu'il ne comprenait pas. Lui-même, il se morfondait dans son chenil depuis plusieurs jours. Il n'avait pas la moindre idée de ce que son maître avait eu l'intention de faire. Il ignorait pourquoi ils ne s'étaient pas revus depuis aussi longtemps.

" J'envie ton calme... ça doit être rassurant, pour toi, de comprendre ce que tu fais ici. " ironisa-t-il.

Lui qui bouillait de frustration, lui qui était dans l'inconnu, lui qui était encore tout jeune, il se rendait compte qu'il était plus détendu qu'elle alors qu'il n'y avait aucune raison pour cela.

La chienne s’assit au sol et l’observa toujours le regard noir. Elle adopta un air supérieur, observant le coin droit de son chenil pour ne pas fixer le petit effronté droit dans les yeux.

« Oui. Tout va parfaitement bien. Je retrouve ma maitresse d’ici quelques heures. »

Déclara-t-elle d’un ton sec.
Puisque le jeune Achille le formulait ainsi, elle le répéterait à sa sauce. Izanami tentait de reprendre une attitude un peu plus digne. Elle n’avait pas l’habitude de se dévoiler au grand jour de la sorte. C’était même plus que rare. Il n’y avait que les moments où elle perdait tous ses moyens que dans sa tête c’était un tel bazar qu’elle ne réfléchissait plus avec son attitude d’impératrice supérieure.

« Parfaitement ! Je sais très bien ce que je fiche ici. Et tous ceux qui sont ici sans savoir ce que leurs maitres fait à la place d’être avec eux méritent bien mieux si tu veux mon avis. Il n’y a que des sauvages pour avoir le coeur à abandonner son meilleur ami derrière les barreaux. Si c’est ce que ton maître a fait, et bien mon petit, je pense que tu devrais réfléchir à ce qu’il représente pour toi car c’est très cruel de sa part. »

Dit-elle en essayant de parler pour penser à autre chose.
Ce jeune aimait causer, autant qu’elle s’en serve pour faire passer le temps.

« Oui. Tout va parfaitement bien. Je retrouve ma maitresse d’ici quelques heures. » lâcha la brute, à la fois dure et absente. Le tableau surprit Achille, que cherchait-elle à éviter ?

« Parfaitement ! Je sais très bien ce que je fiche ici. Et tous ceux qui sont ici sans savoir ce que leurs maitres font à la place d’être avec eux méritent bien mieux si tu veux mon avis. Il n’y a que des sauvages pour avoir le cœur à abandonner son meilleur ami derrière les barreaux. Si c’est ce que ton maître a fait, et bien mon petit, je pense que tu devrais réfléchir à ce qu’il représente pour toi car c’est très cruel de sa part. »

Parler c'était facile, mais écouter, ça s'apprenait. Et Achille n'avait jamais appris. Il était sourd à tout ce qui pouvait le faire douter de la bonne foi de son maître, car ses beaux jours de chasse occupaient dans sa mémoire plus de place que tout le reste.

« Je me demande s'il va bien... » rêvassa Achille à voix haute.
« Je sais qu'il a souvent mal au dos, aux épaules... Mais ce n'est pas une chochotte, il ne se plaint jamais. » Un passé lumineux ressurgissait. Il s'étendit au sol, comme pour mieux se rappeler de cette main douce sur ses oreilles. « Enfin, jamais sauf quand je fais un peu trop l'idiot. »

Avec un petit sourire, il se rappelait son maître qui s'énervait lorsqu'il sautait ou qu'il mordait. Quelquefois, ils jouaient même ensemble.

« Dès qu'il va revenir, je lui ferai sa fête ! » se promit Achille. Emprisonné, immobilisé, entravé, il pouvait encore puiser sa joie dans les belles images qui faisaient sa mémoire.

Horreur ! Ce satané cabot ne comprenait rien du tout. Voilà qu'elle mentionnait son maître odieux et qu'il rêvait déjà de le retrouver. Qu'il était sot à croire que ceux qui abandonnaient leurs chiens ici pouvaient les aimer. Il était bien trop bon pour le monstre qui l'avait laissé entre ces barreaux mais il ne devait vraiment pas s'en rendre compte. Elle comprenait. Le premier abandon était toujours le plus douloureux. Celui où on a beau savoir que c'est fini, on espère encore tous les jours, malgré les déceptions constantes. Le pauvre épagneul n'était pas au bout de ses peines.

" Écoute mon mignon, je ne veux pas être celle qui écrase tous tes rêves mais s'il t'a laissé ici c'est qu'il compte pas revenir te voir avant un bon moment hein. Depuis combien de jours es-tu dans cette cage ? Si tu as déjà perdu le compte c'est que ce n'est pas bon signe, tu ferais mieux de passer à autre chose. Peut-être que si tu es assez mignon un membre de cette équipe te trouvera assez mignon pour vouloir te ramener chez lui. "

Dit-elle sans passer par quatre chemins.
La chienne soupira. Elle se revoyait plus jeune, abandonnée, esseulée, confuse. Elle avait longtemps cherché à comprendre pourquoi sa famille l'avait laissé ? N'était-elle pas assez sage ? Pas assez bien pour eux ? Trop de questions. Tant de questions qui n'avaient jamais trouvé de réponse.

La voisine d'Achille semblait toujours plus calme. Il en fut surpris, lorsqu'elle le fit sortir de ses songes en intervenant :

" Écoute mon mignon, je ne veux pas être celle qui écrase tous tes rêves mais s'il t'a laissé ici c'est qu'il compte pas revenir te voir avant un bon moment hein. Depuis combien de jours es-tu dans cette cage ? Si tu as déjà perdu le compte c'est que ce n'est pas bon signe, tu ferais mieux de passer à autre chose. Peut-être que si tu es assez mignon un membre de cette équipe te trouvera assez mignon pour vouloir te ramener chez lui. "

La réalité était qu'il n'avait jamais essayé de compter. Il était bien incapable d'imaginer combien de temps il avait passé là, car il était habitué à chasser chaque semaine. Son repère à lui n'était pas le soleil qui se levait et qui se couchait, mais bien les signes et les odeurs qui annonçaient l'imminence de la chasse. Chaque jour, il se persuadait toujours avec autant de force, sinon plus, que son maître en tenue approchait.

Il eut un regard si naïf que c'en était presque insolent : " Ce sera bientôt jour de chasse, il ne pourra pas faire sans moi ! Tu sais, les humains, ils ne sentent vraiment rien... "

Voilà pourquoi il devait rester à portée de vue de son maître... Ce dernier ne pouvait pas sentir les proies mais grâce à ses gestes et à ses attitudes, il pouvait comprendre presque aussi bien que s'il sentait.

" En tout cas, mon maître, il serait tout perdu sans moi. Tu ne penses pas que c'est pareil pour le tien ? "

La chienne leva les yeux au ciel. Il était têtu, têtu ! Un vrai chien de chasse sans nul doute la dessus. Izanami poussa un long soupir avant de se lever pour faire un énième tour de sa cage dans l'espoir qu'elle ne trouve une faille dans le grillage. Comme si tout d'un coup sa situation allait changer ... Elle lâcha un soupir prolongé en revenant s'asseoir du côté où se trouvait le jeune en effervescence. Peut-être qu'un jour il changerait, peut-être que son séjour ici lui retirerait cette étoile dansante dans les yeux.

" Hmmm ... "

Lâcha-t-elle avec beaucoup de lassitude.

" Il n'a pas besoin de toi spécialement, il a besoin d'un chien. Pour peu que tu aies fait un truc qu'il n'appréciait pas, il pourrait bien t'avoir remplacé. Mais clairement sans chien, un chasseur n'ira pas loin avec son flair aussi fin qu'une baleine. "

Rétorqua-t-elle en pensant à Lisa.
Sa maitresse n'avait pas besoin d'elle, enfin, Izanami aurait aimé pouvoir dire le contraire mais c'était tout simplement faux. La jeune femme ne l'utilisait pas pour une tâche spécifique, elle pouvait très bien vivre sa vie sans sa chienne. La gerberian shepsky causait bien des soucis entre fugue et anxiété de séparation. La raison pour laquelle Lisa avait sa chienne était plutôt pour avoir de la compagnie que pour l'aider dans une quelconque tâche. C'était le deal. Le lien qui se formait entre elle. Cela tuait la chienne de le reconnaitre mais elle n'avait rien de "spécial" à offrir à Lisa, elle aurait pu être remplacée par n'importe quel autre chien .... Mais ça elle le balaya d'un coup de tête rapide. Non bien sûr que non. Lisa l'avait choisi ELLE et personne d'autre parce que leur lien était spécial !

L'ambiance était toute retournée. Désormais, l'inconnue s'asseyait, elle avait perdu sa fougue et se retrouvait pensive. Intrigué, curieux comme le sont les chiots, Achille se rapprocha un peu, comme si renifler enfin une odeur vivante pouvait l'aider à comprendre ce qu'elle dissimulait.

" Il n'a pas besoin de toi spécialement, il a besoin d'un chien. Pour peu que tu aies fait un truc qu'il n'appréciait pas, il pourrait bien t'avoir remplacé. Mais clairement sans chien, un chasseur n'ira pas loin avec son flair aussi fin qu'une baleine.
- Oh, mais je ne suis pas n'importe quel chasseur, moi ! " se venta illico Achille. " Je suis irremplaçable... Et puis, comment dire... Je sais bien que sans moi, là, il doit être très triste... "

Comment mettre des mots sur un sentiment dont Achille n'était encore qu'à-demi conscient ? Comment expliquer à quelqu'un ce que ça pouvait être, qu'être une sorte de confident pour ce pauvre bougre de Monsieur Duchamp, que sa timidité excessive rendait souvent inaccessible au commun des mortels ? Achille était convaincu qu'aucun humain ne comprenait son maître moitié aussi bien que lui, personne ne savait reconnaître les signes de sa fatigue, de son mal d'épaules, de sa nostalgie, de sa tendresse.

Ils partageaient tous les deux quelque chose d'unique, comme c'est souvent le cas entre un homme très seul et ce chien qui lui tient lieu de compagnon d'infortune.

" Tu comprends ce que je veux dire ? " réagit Achille, qui ne se trouvait pas clair.

" Tous les chiens sont remplaçables petit. Dis moi avant toi, ton maitre, il n'avait pas un autre chien ? Tu crois pas qu'après toi il en aura un autre ?
- Quelle idée ! Bien sûr que non ! " s'exclama Achille, qui vivait encore dans un éternel présent.

Dans le printemps de la vie, on ne pouvait pas se projeter au-delà de sa propre mort ou de la mort de son maître : lorsqu'il nous restait encore autant de lapins à poursuivre, lorsqu'on n'avait jamais connu ce que ses moqueurs camarades de chasse appelaient les galipettes, lorsqu'on était aussi débordant d'énergie et d'enthousiasme.

Sa réponse si débordante de certitude n'eut pas l'air de convaincre sa voisine de cellule, qui se renfrogna. Il tenta bien de la dérider, de lui raconter ses histoires qu'il était le seul à trouver passionnantes, de la provoquer, mais ses échecs et la fixité d'Izanami finirent par refroidir un peu son enthousiasme.

Elle ne l'aiderait pas à oublier ces lapins qu'il ne pouvait pas poursuivre.

Nullement fatigué, mais nullement encouragé, Achille se "calma" lui aussi, à sa manière. Roulades dans la poussière du chenil, couinements, sauts soudains et insensés contre le grillage. Le voisinage eut ce jour-là particulièrement de mal à supporter sa présence ici.