Le noble loup des bois et le comique fou enragé

Charon attendait son maître devant la porte, prêt à partir. Julien l'emmenait au travail aujourd'hui. Rien de spécial au programme, seulement une longue randonnée pour vérifier l'état des bois et tenter de recenser la population animale des environs. Charon allait pouvoir profiter de cette sortie pour se dégourdir les pattes.

Il leva la tête en direction du garçon qui mettait son sac à dos sur les épaules avant d'attacher le chien à la laisse. Les deux compères quittèrent la petite maison pour se diriger vers la voiture. Le trajet fut court. Dix minutes tout au plus pour atteindre un point de parking dans la montagne.

Charon était impatient de courir dans les bois ! Il s'y sentait bien, comme si ce domaine lui appartenait. Il bondit hors du véhicule et trépigna. Allez Julien ! Allez dépêche toi ! L'attente était insoutenable mais bientôt ils étaient sur le sentier de randonnée. Ils ne tarderaient pas à le quitter. L'instant que le tamaskan attendait le plus, car son maître lui autorisait de ne plus être attaché.

" Charon assis. "

Ordonna le garde forestier.
Le chien obéit aussitôt. Les oreilles droites sur sa tête, il se tenait fièrement au pied de son maître.

" Pas bougé. "

Le bruit métallique du crochet de la laisse retentit dans la forêt. Charon dut lutter très fort contre son envie de courir pour rester immobile à côté de son maître.

" Bon chien. Vas jouer ! "

Une boule de poil énergétique s'élança aussitôt entre les arbres. Quelle joie de courir ! Charon adorait ses balades en forêt. Il posa la truffe au sol et renifla toutes les senteurs de la nature. Il n'oublia pas de marquer son territoire à plusieurs reprise pour dire qu'il était passé par là. Julien était trop occupé pour veiller constamment sur lui. Le jeune homme avait du travail. Alors le chien s'éloigna de son côté. Il remarqua rapidement une autre odeur canine qui trainait dans les environs. Intrigué, il se dirigea vers cette dernière.

Le malinois n'appréciait clairement pas la compagnie. Il grognait, se taisait, grognait plus fort. De quoi dissuader le plus courageux des chiens. Malheureusement pour lui Charon n'était pas très réceptif au comportement canin. Bien sûr, Julien avait pris le temps de le socialiser pour qu'il sache se comporter avec les autres, toutefois, la personnalité du tamaskan était telle qu'il ne se débrouillait pas si bien en société. Il s'arrêta pour observer le chien fauve au pelage hirsute suite à ses menaces. Il n'avait pas l'air de bonne humeur. Charon se demandait si cela venait du fait qu'il était prisonnier de la laisse.

" Pardon, je n'avais pas remarqué que j'étais dans ta zone de confort. "

Répondit gentiment Charon avant de se reculer de quelques pas.
Il n'avait pas rencontrer de nouvelles têtes depuis un moment, alors il ne pouvait qu'être excité par la perspective de se faire un nouvel ami. Sa queue battait l'air joyeusement alors qu'il se tenait debout face à l'autre, avec plus de distance cette fois-ci. Il ne voulait pas se mettre le mâle à dois avant même d'avoir au la chance de le saluer correctement.

Le mâle à la tête de loup finit par s'asseoir tandis que le malinois s'avançait dans sa direction pour lui adresser quelques mots d'une voix brute de décoffrage. Il ne s'en offusqua pas. Charon ne se sentait pas intimidé ou menacé par le ton de l'autre. Peut-être était-il de mauvaise humeur aujourd'hui ? Il faudrait une menace claire et définie contre lui pour que le tamaskan commence à s'inquiéter à son sujet.

" C'est pas marrant. En même temps je pense que si mon maitre me tenait en laisse en balade, moi aussi je ne serai pas de bonne humeur. Il te laisse courir dans les bois des fois ou tu le suis toujours au pied ? "

Demanda Charon, curieux d'en savoir un peu plus à son sujet.

(Petit up ?)

L'autre ne paraissait pas très emballé par la laisse. Mais Yago non plus ne se sentait pas à l'aise, emprisonné entre ces bouts de cuir, qui étaient immangeables. Il ne pouvait pas se libérer si un problème survenait. Ou qu'une proie se détachait du paysage, et qu'il voulait le prendre en chasse, et lui arracher la gorge.
" C'est pas marrant d'être toujours en laisse ... "

  Il roula des yeux, ne préférant pas répondre. Pierre le tenait toujours trop serré, pour qu'il ne puisse esquisser un autre mouvement, et qu'il ne puisse se décaler vers lui. Aurait-il peur qu'il bondisse ainsi sur le loup ? Non, se battre attaché était bien trop complexe.
" T'échapper ? Tu veux dire que ce gars là n'est pas ton maître ? Tu viens d'où ? "

  Mais c'est qu'il était perspicace, l'animal, songea le malinois, agacé. Il s'était résigné à paraître agressif, et marchait de manière détendue, roulant naturellement ses muscles parfaitement dessinés. Des souvenirs, la plupart faisant briller dans ses yeux des étoiles, revinrent dans son esprit, et des images, des mots, des odeurs se baladèrent dans sa tête. Il reprit, d'une voix absente, perdu dans ses heureux songes :
"Chui un chien de combat. Je vivais dans une taule, avec mon maître. J'étais éduqué pour tuer les autres. Des hommes ont débarqué, et il s'est taillé en courant? Il avait peur je pense, mais il va revenir, je l'attends.

Jamais il n'avait exprimé son parcours avec autant de douceur, de calme. Il attendait son maître, avec une espérance bien triste. alors qu'il n'était que pour lui un gagne-pain. Mais ça, il ne le savait pas.

Charon était particulièrement intéressé par le Malinois qui ne ressemblait en rien aux chiens qu'il avait l'habitude de croiser. Non, rien de similaire. Il y avait dans son regard quelque chose de totalement différent mais le Tamaskan n'arrivait pas à mettre la patte dessus. Il devrait poser plus de questions ou bien apprendre à le connaitre à son rythme, laissant l'autre lui raconter son histoire lorsqu'il serait plus en confiance.

" Wow ! C'est fou ! J'aurais dû m'en rendre compte plus tôt. T'es un sacré champion, ça se voit tout de suite ! "

Complimenta Charon qui s'était figé d'émerveillement, sûrement car il ne comprenait pas vraiment ce que Yago voulait dire.
Pour dire vrai, Charon ne connaissait rien de la vérité sur les chiens de combats. Quand le Malinois avait parlé de se battre, le jeune mâle avait pris ça plus à la légère, comme s'il s'agissait d'une compétition entre chien pour voir qui était le plus fort. Il n'avait pas relevé le mot tuer même si quelque part dans son esprit, une petite mise en garde avait été prise. Charon ne provoquerait pas le Malinois, au risque d'y perdre des poils.

" Bon courage pour retrouver ton maître. Je ne peux pas imaginer pire que d'être séparé du mien. J'espère que tu parviendras à le retrouver rapidement ! "

Déclara le loup qui le regardait sérieusement, plein d'espoir dans les yeux pour son camarade qu'il voyait presque comme une célébrité canine à présent.

L'autre s'arrêta brusquement, et Yago n'eut pas d'autre choix que de se stopper à son tour, suite à la pression sur son harnais. Pierre voulait donc le sociabiliser, songea-t-il avec ironie. A moins que le brun n'en revenait pas qu'il arrive à parler avec un chien sans vouloir le mordre. Mais simplement qu'il était trop loin, et qu'il était dans l'incapacité de bien se battre, avec une laisse en cuir et un humain au bout. Il attendait simplement le bon moment, s'il se présentait. Il lança un regard au loup, qui lui rendit aussitôt. Peut-être parce qu'il le fixait avec ces yeux écarquillés, et ce scintillement dans ces iris, qu'il en fut mal à l'aise. Mais en se concentrant davantage, ce n'était pas l'humour qui rendait l'autre ainsi, mais un sentiment bien plus confortable : l'admiration. Ainsi, il n'avait pas perdu cette aura dangereuse qui le qualifiait si bien. Ainsi, même en ayant arrêté de se battre, il restait le même. Il redressa la tête, et eut un léger sourire fier, qui dévoila une étincelante canine.
" Wow ! C'est fou ! J'aurais dû m'en rendre compte plus tôt. T'es un sacré champion, ça se voit tout de suite ! "

  Le malinois ne releva pas l'innocence ridicule de l'autre. Tant qu'il le vénérait presque, il ne serait pas en danger. C'était si satisfaisant de se sentir maître du monde, capable de diriger cet abruti simplement en racontant des histoires. Il remercia silencieusement le berger suisse qui lui avait arraché un bout d'oreille, et tous les idiots, ainsi que son cher maître, qui lui avait forgé une silhouette athlétique, et une cicatrice à en faire pâlir les plus téméraires. Sans lui, il n'était rien. Son congénère reprit, un certain sérieux dans la voix :
" Bon courage pour retrouver ton maître. Je ne peux pas imaginer pire que d'être séparé du mien. J'espère que tu parviendras à le retrouver rapidement ! "

   Mais que c'était touchant, pensa-t-il narquoisement. Il roula les yeux, et balaya une nouvelle fois le paysage du regard. Il ne distinguait aucune silhouette paniquée, appelant son chien de toutes ses forces. Il s'était peut-être échappé, et cette pensée lui fit mal. Lui, ne pouvait rien faire d'autre que de se déplacer entre son panier et son enclos privatisé. Quelle chance ! Il rétorqua, un brin énervé :
"Dans ce cas, qu'est ce que tu fous ici ? Imagine qu'il parte sans toi ? Comme le mien …"